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Discours d'Alain Suguenot, Maire de Beaune, Président de l'agglomération, à l'occasion du 106ème anniversaire de l'armistice de 1918.

« Autour de nous, tout grondait. Les obus s’abattaient en pluie, ébranlant la terre comme des coups de bélier. La nuit devenait rouge ; les éclairs de la canonnade la trouaient de zébrures furieuses.

À gauche, à droite, en face, derrière nous, des explosions ; on aurait dit que nous étions pris dans un filet de feu. Les hommes se recroquevillaient sous la mitraille, sans même lever la tête. Ce n’était plus la bataille, c’était l’extermination. »

Ces mots sont ceux de Roland Dorgelès. Écrivain et engagé volontaire en 1914, il dépeint dans son roman « Les Croix de bois » avec un réalisme cru la Première Guerre mondiale : la vie des soldats, les conditions terribles des tranchées, la camaraderie, mais aussi la peur, la souffrance et cette mort si palpable à chaque
instant.

La guerre : cette mécanique aveugle de destruction qui n'épargnait rien ni personne, cette déshumanisation où les hommes ne sont plus que les spectateurs impuissants de leur mort imminente.

Pour ceux qui ont survécu, nombreux sont ceux qui ont souffert de traumatismes psychologiques, ces fameuses névroses de guerre longtemps mal comprises et pourtant si compréhensibles.

Pour Roland Dorgelès, comme pour de nombreux auteurs qui ont écrit sur ce thème à l’instar d’Henri Barbusse, Guillaume Apollinaire ou Maurice Genevoix, le traumatisme fut tout aussi réel, mais l’écriture fut cette forme d’exutoire.

La guerre les a non seulement bouleversés, mais elle les a aussi poussé à témoigner, à immortaliser la mémoire des poilus, ces hommes sacrifiés sur l’autel de la guerre.

À travers leurs écrits, la guerre n’était pas seulement vue comme un événement historique, mais un traumatisme personnel et collectif.

Ce sont leurs mots qui rendent l'atrocité de ce conflit palpable,
qui nous permettent de comprendre, au-delà des chiffres et des dates, ce que signifiait réellement être là-bas, dans cette boue, sous cette pluie de feu.

Évoquer la guerre avec des chiffres, c'est tenter de comprendre l'incompréhensible, c’est renforcer une illusion de distance ou d'invulnérabilité.

Lorsque l’on entend des statistiques massives sur les pertes humaines, nous avons tendance à croire que cela ne pourrait pas nous arriver, car ces chiffres appartiennent à un passé ou à un groupe lointain.

Plus de 1 200 morts dans les Kibboutz le 7 octobre 2023, près de 50 000 morts à Gaza ou aujourd’hui au Liban. Près d’un million et demi de morts et de blessés en Ukraine.

La Première Guerre Mondiale : Dix millions de morts, 1 400 jours de combats, 42 millions de mobilisés… ces chiffres, aussi terrifiants soient-ils, ne nous touchent pas de la même manière que ces histoires personnelles, qui à l’inverse, nous rappellent que les victimes de la guerre étaient des gens ordinaires, tout comme nous.

À travers nos commémorations, à travers la littérature, ces histoires s'ancrent dans notre mémoire collective et deviennent des outils puissants pour comprendre la folie et la barbarie de la guerre.

Ils sont aussi une leçon essentielle pour l'avenir : ils nous rappellent que la paix est un bien fragile, et que notre devoir est de la préserver, coûte que coûte.

106 ans plus tard, il est essentiel d’entretenir ces récits, de les enseigner, de les raconter encore et encore. Les enseignants jouent un rôle primordial dans cette transmission. Ils sont ces éveilleurs d'esprits, ces passeurs de connaissances.

Ce sont eux qui permettent aux jeunes générations de s’approprier cette histoire, de comprendre que derrière chaque chiffre, chaque monument aux morts, se cachent une vie, une famille, une douleur.
106 ans plus tard, il est de notre devoir de rappeler ce que l’on oublie parfois :

Le courage des femmes qui ont dû occuper des rôles essentiels, notamment dans les usines d’armement, l’agriculture, les hôpitaux

L’impact des violences sur les civils dans les zones occupées dans le nord-est de la France, avec son lot de réquisitions, d’exactions et parfois même de viols

La bravoure des 600 000 soldats coloniaux, qui ont servi dans des conditions particulièrement difficiles et ont fait face à des discriminations raciales. Malgré leur dévouement, leur reconnaissance a été limitée, et leur place dans l'histoire de la guerre a été trop souvent sous-évaluée,

Les mutineries de 1917 par des soldats épuisés par la violence incessante et l'absurdité apparente des ordres reçus, la propagande pour masquer les horreurs du front et limiter les critiques de la guerre…

Tous ces aspects sont parfois occultés ou peu évoqués, mais ils font partie de la vérité de cette guerre.

Ils nous rappellent que les souffrances ne se limitaient pas au front, mais qu'elles ont touché l'ensemble de la société. Rien ne doit être passé sous silence.

Romain Rolland, qui connut lui aussi l’horreur des tranchées, écrivait ces mots extraits de son livre Au-dessus de la mêlée

« Il y a deux réalités au-dessus des nations : l’humanité et la vérité. [...] Nous ne sommes pas les ennemis de la nation. Nous sommes les ennemis de l’erreur, les ennemis de la haine. Nous voulons arracher du cœur des hommes les passions meurtrières qui déchaînent sur eux la guerre et les rendent esclaves les uns des autres. [...] Il faut avoir le courage de regarder en face la vérité ; de juger son propre camp avec la même justice que l’adversaire ; de refuser les mensonges qui avilissent, même quand ils servent momentanément la cause que l’on croit juste. »

Ce message nous rappelle qu’au-delà des frontières et des conflits nationaux, l’ennemi véritable n’est pas la nation mais les erreurs et la haine, les idéologies et les intégrismes…

Chers amis, au soir du 11 novembre 1918, la joie des Françaises et des Français ne peut éteindre le deuil immense qui recouvre tout.

Un dessin, oui…un dessin d’Abel FAIVRE ! Est le meilleur témoin de cette confusion, de cette ambiguïté… Une femme en pleurs est agenouillée devant la tombe de fortune de son mari.

À côté d’elle, sa petite fille lui demande : « Maman, Papa sait-il qu’on est vainqueur » Quel meilleur message !
Vive Beaune, Vive la République, Vive la France.
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