Takashi Murakami s'expose à la galerie Perrotin

Takashi Murakami s'expose à la galerie Perrotin (1/1)
Depuis des années maintenant, les expositions de TakashiMurakami s’apparentent à de véritables réunions de famille, voire aux nouveaux épisodes d’une série télévisée au long cours. En tout cas, elles en partagent quelques caractéristiques, notamment un casting de personnages familiers attachants qui, selon les contextes, supports et médiums–sculpture, peinture, vidéo…–, resurgissent sous différentes formes.

Fleurs souriantes, personnage espiègle à deux oreilles, champignons dotés de dizaines d’yeux: parfois très populaires, ces mascottes inventées par l’artiste japonais au fil des trois dernières décennies se réveillent à chaque occasion, dévoilant selon les espaces et accrochages une nouvelle facette de son imaginaire foisonnant. Un imaginaire aux airs de jardin extraordinaire où, comme dans une dimension parallèle, tous ces êtres cohabitent et laissent libre cours à leurs émotions. Si certains paraissent parfois semer le trouble, emportés par la colère ou une folie douce, la plupart dégage surtout une joie communicative et forme d’insouciance, qui apporte sans nul doute à l’œuvre de Murakami son grand pouvoir de séduction.

Une approche très apparente à la galerie Perrotin, où l’artiste dévoile cet automne une nouvelle exposition personnelle. son corpus inédit de récentes peintures réunit de nombreux personnages fétiches de Murakami, qui semblent faire communauté bien que représentés sur des panneaux en bois distincts. On y reconnaît entre autres la fameuse pieuvre loufoque que l’artiste aime régulièrement porter en chapeau, une maiko et une jeune femme en mini-robe stylisées façon manga, mais aussi Miss Good Things et Mr. Bad Things, deux petits êtres inséparables autant qu’antinomiques, respectivement l’incarnation du bien et du mal version kawaii. Une distribution éclectique qui ne saurait être complète sans le fameux panda de Murakami et Mr DOB avec qui tout a commencé, première icône de l’artiste et leitmotiv de ses œuvres depuis son introduction en 1996. Ici décoré de rayures multicolores, et accompagné de son petit, l’animal semble aussi bien sorti d’un dessin animé pour enfants que d’un voyage hallucinatoire psychédélique.

Là réside toute l’ambiguïté plastique de l’œuvre transgressive et iconoclaste de Murakami. À l’orée des années 2000, l’artiste (né en 1962) théorise le mouvement Superflat, forme de néo pop art nippon croisant les codes publicitaires et la culture populaire avec l’esthétique des films d’animation japonais dans des œuvres colorées et bidimensionnelles, tout en s’appropriant des canons artistiques pour critiquer avec un humour grinçant la société de consommation. Toutes peintes sur des panneaux de bois, détourés suivant les contours des personnages (« shaped canvas»), ces nouvelles toiles où la créature s’échappe du décor renvoie indéniablement aux mascottes et logos de marques, s’invitant sur des stickers, packagings et autres spots et affiches publicitaires.

Sur une peinture d’à peine cinquante centimètres de haut, on découvre par exemple un lionceau attendrissant, le Yume Lion, à la tête cerclée d’un diagramme aux sept couleurs de l’arc-en-ciel qui lui sert de crinière. Ce lion a été créé par Murakami pour servir de mascotte à la chaîne de télévision japonaise TOKYO MX. En 2010 il apparaît à l’entrée du château de Versailles, à l’époque sous la forme d’une grande statue d’or et d’aluminium. Ce mignon félin fut depuis souvent décliné en peluche par l’artiste et a même fit l’objet d’un livre pour enfants. Telle est l’illustration parfaite de la mascotte qui, fréquemment recontextualisée dans des œuvres différentes, traverse et transcende l’œuvre de son auteur, même au-delà du monde de l’art. Rappelons qu’à de nombreuses reprises, des créateurs de mode, musiciens et designers se sont montrés friands des personnages fétiches de Murakami, les invitant au gré de nombreuses collaborations.

Mais chez l’artiste sexagénaire, les «mascottes » n’ont pas toujours deux yeux, un nez et une bouche. Représentative de la diversité de ses inspirations, la sélection d’œuvres exposées par Perrotin comporte deux peintures circulaires où se déploient des dizaines de fleurs colorées. Hommages explicites aux estampes d’Ogata Kôrin, grand peintre du XVIIe siècle, celles-ci rappellent l’intérêt marqué de l’artiste pour l’histoire de l’art de son pays – lors de ses études, il s’était d’ailleurs spécialisé dans l’art du nihonga, peinture japonaise traditionnelle. Ici, les fleurs s’invitent sur des tondos, toiles rondes emblématiques de la Renaissance italienne, où elles se parent de feuilles d’or, de platine et de paillettes. Développée depuis une vingtaine d’années, cette série d’œuvres témoigne du syncrétisme assumé de l’artiste, entre les cultures, les époques, mais aussi entre les genres, « profanant» l’art sacré par l’apport kitsch d’éléments contemporains.

Avec ZuZaZaZaZaZa Rainbow, Murakami fait aussi un clin d’œil à l’histoire de l’art plus récente, notamment à la peinture abstraite du milieu du XXe siècle. Sur sept bandes verticales colorées alignées, une même trace de liquide blanc vient maculer la surface unie. Un motif qui rappelle sa série des « bodily fluids » de la fin des années 90, où Murakami explorait les liquides corporels en les faisant jaillir, dans ses toiles ou ses sculptures, de façon souvent équivoque. On pensait alors à Ellsworth Kelly, Lucio Fontana, Barnett Newman… et bien sûr à Jackson Pollock, qui a fait du jaillissement de la peinture sur la toile son principe pictural emblématique.

Dupliqués, recontextualisés voire rafraîchis et réarrangés, tous les personnages fétiches de Murakami forment ici un véritable « best of » dans lequel chacun pourra identifier des formes familières. Invitant, par leur rencontre dans l’espace d’exposition, chaque visiteur à composer son propre récit en s’emparant singulièrement de l’imaginaire de l’artiste, ces icônes incarnent également différents moments de sa carrière dont l’association apparaît parfaitement naturelle. En effet, obsédé depuis toujours par les icônes qui habitent notre inconscient collectif, Murakami est ainsi.

Parmi elles, l’artiste n’a pas hésité à faire son autoportrait aux côtés de POM, le chien dont il fut inséparable de 2006 à sa mort en 2020. Une mascotte en chair et en os qui rappelle combien l’œuvre de l’artiste, si fantaisiste et colorée soit-elle, explore toujours le lien ténu entre le rêve et la réalité. Tête hypertrophiée, chevelure bleutée et sourire béat, le visage de l’artiste semble désormais, dans l’espace de la galerie, émerveillé par les êtres qui l’entourent–comme le miroir d’un homme qui n’a jamais cessé d’avoir la tête dans les nuages de son imaginaire.

Matthieu Jacquet, critique d’art


Date:
Du Mardi 15 Octobre au Samedi 23 Novembre


Adresse:
Galerie Perrotin Matignon
2bis, avenue Matignon
75008 Paris

Information ville de Paris
Contenu publié sur le site quefaire.paris.fr
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