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Mesdames, messieurs

Il fait beau ce 28 juin 1914. Dans une petite station thermale d’Europe centrale, l’écrivain autrichien Stefan Zweig lit son journal, assis sur un banc. Il est bercé par la douce musique d’un orchestre qui joue sous un kiosque, un peu plus loin. Soudain, la musique s’arrête. Brutalement.

Zweig interrompt sa lecture, relève la tête, un peu surpris. Il se souviendra toute sa vie de ce moment, de cette seconde. Parce qu’à cet instant précis, son histoire, notre histoire va basculer.

En plein concert, le chef de l’orchestre vient d’être averti que l’héritier du trône, François Ferdinand, a été assassiné à Sarajevo.

En France, à Béziers, le lendemain, la nouvelle fait la une des journaux. Mais, en quelques jours, tout est rapidement oublié. Encore un drame lointain qui, au fond, ne nous concerne pas.

Dans les semaines qui suivent, on discute, comme si de rien n’était, de faits divers, de la cherté de la vie, du sport. Personne n’imagine une seule seconde qu’un terrible engrenage vient de se mettre en marche.

Une machine infernale. Une machine faite d’acier, de stocks de munitions, de diplomatie secrète, de calculs politiques. En un trait de plume, des politiciens vont jeter des peuples les uns contre les autres. Dans la grande marmite du monde, les passions nationales vont se mettre à bouillir.

Début août 1914, les Français se réveillent en enfer. Des affiches de mobilisation placardées partout. La vie de chacun transformée en big bang. Les heures qui filent comme des années-lumière. Des adieux brefs, des baisers échangés sur un quai de gare.

On bombe le torse. On surjoue la virilité devant sa mère, sa fiancée, les larmes aux yeux. La réalité va être terrifiante, insoutenable. Encore quelques semaines et les gamins de nos campagnes seront face aux mitrailleuses allemandes et à leurs ouragans de balles perforantes. Encore quelques semaines et ce seront les moissons sanglantes dans les champs du Nord.

Aujourd’hui, permettez-moi de penser aux jeunes Biterrois, aux jeunes de notre Midi qui se sont retrouvés dans cette folie, si loin de leur province. Et qui ne sont jamais revenus.

Notre armée a tenu dans des conditions que l’on ne peut même plus imaginer aujourd’hui, tant nous sommes habitués à une vie douillette, loin de la guerre et de ses drames.

Au bout de quatre ans, notre armée a fini par l’emporter face à la machine de guerre allemande. Grâce notamment aux sacrifices de nos alliés, britanniques, russes, italiens, américains. Sans cette coalition, sans ces soutiens, notre volonté farouche n’aurait pas suffi.

Aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher de penser à nos amis ukrainiens qui, eux aussi, sont face à une armée tout autant monstrueuse. Et si demain l’Ukraine se retrouve sans alliés et sans soutien, elle tombera comme la République française serait tombée si elle s’était retrouvée seule en août 1914.

Pour cela, pour tout cela, nous avons raison de continuer à nous réunir chaque année devant ce monument aux morts. Nous avons raison de conserver la mémoire de ce qui nous est arrivé, de nous souvenir de cette résistance héroïque.

Plus les années passent, plus ces conflits nous paraissent lointains, presque étrangers. Et forcément, en ces temps compliqués, la fin du mois

nous semble plus importante que l’avenir de l’Ukraine. La hausse des prix plus essentielle que la défense de la liberté au fin fond du Donbass.

Mais nous avons tort. Ce qui se passe à Kiev est essentiel. Comme l’a été l’assassinat d’un prince autrichien dans la petite ville de Sarajevo. Malheureusement, de cela, on ne s’aperçoit que plus tard, trop tard.

S’il y a une leçon à retenir de l’hécatombe de 14-18, c’est que le prix de la liberté ne se négocie pas. Au risque de le payer un jour au centuple.

Vive la République ! Vive la France !
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